« Il n’y aura pas de discussion avec les gens qui ont profané la maison de Dieu ». Après sa messe du 12 janvier transformée en meeting politique, l’Archevêque de Kinshasa s’est fermé à toute conciliation, même de Sassou Nguesso, pour se poser en chef de faction à la tête de ce qui n’est pas loin d’une milice cléricale à Kinshasa où même les positions de la Cenco, plutôt conciliantes, sont systématiquement doublées par celles de Monsengwo ou de « sa » CLC pour entretenir une escalade conflictuelle qui, si l’on n’y prend garde, pourrait déboucher le 21 janvier prochain sur une situation autrement plus dramatique…
« Veillée d’armes », le terme est loin d’être un euphémisme pour caractériser la situation qui prévaut au sein de l’église catholique depuis le mardi 2 janvier 2018 suite à la déclaration va-t-en-guerre du Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya en rapport avec les incidents qui ont émaillé la marche manquée du 31 décembre 2017. Depuis lors, en effet, il s’observe une montée de tension dans les rangs du clergé catholique où s’est définitivement formé une faction autour du Cardinal conseiller du Pape pour en découdre avec tous ces « impies » formellement identifiés comme tel. Et les bonnes intentions de la Cenco, organe faîtier de l’église, n’y peuvent rien malgré la solidarité manifestée à l’endroit de l’un de ses membres qui n’en a manifestement cure.
Mardi 9 janvier, en effet, Mgr Marcel Utembi, Président en exercice de la Cenco, conduit une délégation de cette instance auprès du Président Sassou Nguesso à Brazzaville, en sa qualité de Président en exercice de la Cirgl. Objectif : obtenir ses bons offices pour « apporter quelque chose dans la perspective de satisfaire les aspirations du peuple congolais » ou, plus concrètement, selon l’Abbé Nshole, Secrétaire général de la Cenco, « partager au Président Sassou Nguesso leurs convictions (Ndlr : celle des évêques), à savoir la mise en œuvre complète de l’accord du 31 décembre 2016 devant permettre d’organiser des élections en RDC ». Même si la démarche est, sur le fait, vouée à l’échec en raison du fait que le Président congo-brazzavillois est trop pris avec le putsch dont il fait l’objet, à Kinshasa, au sein de l’église catholique, les esprits ne s’y prêtent pas non plus. A commencer par Mgr Monsengwo qui, sans ménagement, envoie tout paitre : « Il n’y aura pas de discussion avec les gens qui ont profané la maison de Dieu », déclare-t-il indirectement en réaction à cette initiative. Et ce n’est pas la première fois, d’ailleurs, car, au soir de sa déclaration du 2 janvier 2018, selon des sources, il aurait renvoyé des délégations parties à sa rencontre au centre Lindonge, sa résidence officielle, pour le raisonner.
Et Marcel Utembi, lui, n’en est pas à sa première déconvenue avec Monsengwo qui avait rendu littéralement sans objet la déclaration de la Cenco qu’il avait co-signée avec son adjoint Fridolin Ambongo le même mardi 2 janvier. L’Archevêque de Kinshasa a préféré emprunter une démarche solitaire aux atours d’une croisade personnelle qui marque officiellement sa désolidarisation de l’organe faîtier de sa propre église.
Laurent Monsengwo Pasinya a donc décidé d’implanter une faction politique à son Archidiocèse de Kinshasa pour en découdre avec tous ces « médiocres » également portés au front pour laver l’affront qu’il leur a fait en les couvrant de tous les noms d’oiseaux. Il est soutenu en cela par la Nonciature apostolique qui, dans la même encablure de temps, a légitimé l’existence du Comité laïc de coordination (CLC) au sein de cet archidiocèse. Une CLC devenue carrément le bras séculier du Cardinal-chef de faction, alors que de Bukavu où il siège, Mgr Xavier Maroy avait clairement fait savoir que cette structure n’a aucune existence au niveau de la Cenco censée tout connaître de l’église catholique.
Veillée d’armes à la Cathédrale
Et ce qui va se passer le 12 janvier à la Cathédrale Notre Dame de Lingwala va corroborer les constats des observateurs. En fait d’une messe en mémoire de ceux qui sont présentés comme les « martyrs de la Saint Sylvestre », l’on assiste à ce qui n’est pas moins un meeting foncièrement politique. RFI, qui se distingue généralement par ses diatribes envers le régime de Kinshasa, parle d’une « messe très politique » et « très critique vis-à-vis du pouvoir en place à Kinshasa ».
Dans la chapelle, aucune visibilité des membres de famille des défunts reclus au fond, dans la foule chauffée à blanc, mais plutôt une très forte représentation des forces politiques et sociales de l’opposition radicale. Le protocole s’y prête bien lorsqu’on observe que Félix Tshilombo, Président du Rassop/Limete, est placé en position de « privilège cardinal » sur un fauteuil avancé devant les bancs rangés derrière lui et qui accueillent le reste des troupes sous les regards témoins et encourageants de quelques membres occidentaux du corps diplomatique. Dans la chapelle également, aucune présence de Marcel Utembi, pourtant patron de l’église catholique en RDC. Une absence qui dit tout de ce qui règne au sein de la Cenco actuellement…
La vérité est simple : Mgr Monsengwo joue sa partition et galvanise ses troupes. Il officie la messe, bien sûr, mais ne prend pas la parole. Il a, à portée de sa main, ses avoués du clergé kinois émoustillés par sa déclaration du 2 janvier et qui portent tour à tour sa parole dans des discours incendiaires, soulevant des vivas dans l’assistance et créant ainsi une ambiance plutôt électrisée. Pas de place non plus pour un recueillement en ces lieux plutôt pieux et en cette circonstance supposée consacrée à la mémoire des disparus…
Mgr Donatien Bafuidinsoni, l’un de ses trois auxiliaires de Kinshasa, ici en préséance de « petit mo-confia » du Cardinal (un avoué, dans le langage kinois), va jusqu’à décréter que la date du 31 décembre devra désormais être considérée comme une journée des martyrs de la St Sylvestre. Vient ensuite l’Abbé Nshole Babula dont le 25ème anniversaire de sacerdoce venait d’être célébré avec faste une semaine plus tôt à Sainte Anne en présence du Cardinal et des leaders de l’opposition. Nshole est connu notoirement comme l’un des avoués de Monsengwo au sein de la Cenco dont il a récemment été bombardé Secrétaire général alors qu’il n’en était encore que le premier adjoint.
Le couteau littéralement entre les dents et ne cachant pas sa colère, Nshole débite ses imprécations jusqu’à invectiver en lingala : « Cardinal Monsengwo aza moko ya ba six Cardinaux oyo Pape aponi na monde po basalisa ye na musala. Sikoyo yo mutu pamba pamba osakana na ye ? » (Le Cardinal Monsengwo est l’un des six Cardinaux choisis par le Pape à travers le monde pour l’aider dans son travail, et toi, un moins que rien, tu oses te rire de lui ?). Ainsi s’adresse-t-il ouvertement à tous ceux qui se sont élevés contre les propos de Monsegwo, alors que la Cenco, une fois de plus et sous la co-signature de Utembi et Ambongo, avait déjà publié une déclaration dénonçant ces attaques et réaffirmant la solidarité de l’église envers l’Archevêque de Kinshasa.
Décidément, et à tous les coups, ces déclarations officielles de l’organe faîtier de l’église ne suffisent pas pour Monsengwo et sa faction kinoise de l’église. On assiste à une sorte de course-popursuite entre les deux camps, celui de Monsengwo bénéficiant de temps en temps de l’appui du Nonce apostolique – ci-devant représentant de Sa Sainteté le Pape en RDC – qui, de son côté, court-circuite l’organe faîtier de l’église catholique en RDC. Assurément, Monsengwo, vieux routier de la politique, est ici bien à l’aise dans son élément…
Normal donc que la cathédrale Notre Dame exulte à chacune de ce genre de déclarations arrachant à des gorges déployées des vivas ponctués des slogans que l’on entend habituellement dans des meetings politiques. L’office se termine dans la même ambiance, vite récupérée – on ne pouvait que s’y attendre – par les politiciens à l’instar de Vital Kamerhe et ses militants qui vont tenter d’improviser une marche vite dispersée par les forces de l’ordre.
Le CLC en action après la veillée d’armes, Monsengwo chef de faction
Mais ce n’était que le début du commencement. La messe du 12 janvier était une veillée d’armes pour la galvanisation et la mise en confiance des troupes avant la suite des événements, et les officiants l’avaient bien annoncé. En effet, le Clc n’a pas attendu longtemps pour le confirmer. Samedi 13 janvier, Thierry Landu, Ndaywel et les autres membres de la structure vont annoncer une nouvelle marche pour le 21 janvier prochain. Une opération qui était manifestement dans l’ordre du programme puisque le texte du communiqué semble avoir déjà été rédigé bien avant et ne laissait qu’un vite sur la date de sa signature (13 janvier) qui a été complétée à la main, après la messe du 12 janvier.
Mgr Monsengwo, devenu chef de faction, a donc décidé de se battre dans un combat qui lui est devenu particulièrement personnel. Ici les observateurs font rapidement le distinguo entre, d’une part, cette croisade individuel fédérant quelques membres du clergé et une partie des fidèles, et, d’autre part, l’engagement de l’église qui se traduit dans les différentes déclarations de la Cenco systématiquement doublées par celles de Monsengwo ou de « son » Clc. Même à Kinshasa, il s’observe des divergences au sein de l’église où seulement quelque six paroisses, sur la quarantaine que compte la ville, suivent la logique va-t-en-guerre du Cardinal et ce qui n’est pas loin d’être une milice à ses ordres. Les cloches de jeudi le témoignent bien puisqu’elles se sont cristallisées dans ces paroisses aujourd’hui bien identifiées.
Qui donc saura ramener à la raison le Cardinal et les princes de l’église à sa solde ? La question est sur toutes les lèvres et les observateurs se désolent de voir combien les termes généralement utilisés dans l’actualité pour l’insécurité récurrente à l’Est du pays coller si parfaitement à cette situation que l’on impose délibérément sur l’église où certains fidèles déménagent même de leurs paroisses d’attache pour aller communier avec le Christ ailleurs, dans d’autres paroisses jugées plus paisibles et sereines…
Pascal Debré Mpoko